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Le Vilain Petit Canard

Bon, c’est pas tout ça, hein… On déconne, on parle de trucs trop marrants, on fait les foufous… mais là, faut que je vous parle sérieusement.
Ça fait un moment que je n’ai pas écrit ici, je sais, mais attention, scoop, ce n’est pas parce que j’avais changé d’avis et que finalement, on pouvait taper sur les mômes et les traiter de nullos, que je m’en fichais.
Ça c’est fait tout naturellement au fur et à mesure que les voix se multipliaient, sur internet, au café du coin, dans la presse et en politique (un peu) pour mettre un terme aux violences éducatives plus ou moins ordinaires.
Quand j’ai commencé ce blog, c’était parce que j’avais besoin de dire qu’on pouvait faire autrement, sans abîmer les enfants, en les traitant comme des personnes. Je voulais normaliser une éducation consciente et respectueuse de chaque personne dans la famille.

Aujourd’hui, je crois que la partie est loin d’être gagnée, mais que les portes-parole sont hyper nombreux, que les figures emblématiques sont reconnues, et que le mouvement est lancé, et ça me fait très plaisir. Et puis la loi anti-fessée est passée ! (C’est un vieux motard que j’aimais qui me l’a annoncé.)

Alors pendant ce temps, je faisais d’autres trucs, comme bosser, chanter, me soigner, faire des gâteaux licorne, écrire, m’occuper de mes poussins, toussa, mais je n’étais jamais très loin.
Et à propos de poussins, j’avais envie de vous annoncer l’arrivée de mon petit dernier.
Ce n’est pas précisément un poussin, il serait plus proche du caneton…
Il y a 9 mois – oui, je sais – un certain Arnaud Valois, acteur talentueux de son état, m’a entraînée dans un projet passionnant en me demandant d’écrire avec lui l’adaptation d’un conte classique. On a choisi Le Vilain Petit Canard d’Andersen parce qu’on y voyait matière à parler de deux ou trois trucs qui nous tenaient à cœur. L’idée était d’en faire un conte audio qu’Etienne Daho (juste) pourrait mettre en musique. Et on avait le droit de tout changer !
Puis ils l’ont enregistré, ils ont fait la musique (que je vous laisse découvrir)…
Et comme si ça ne suffisait pas, c’est Olivier Tallec qui a illustré l’histoire. Si tu connais pas, tu tapes sur Ecosia et après tu fais « Ah mais si, je connais, c’est trop beau ce qu’il fait ! »
Et le tout sort la semaine prochaine, le 7 novembre 2019, chez Gallimard. Si si, je te jure…
Et là, on pourrait croire que je fais ce post uniquement pour vous chanter ma joie au visage, mais non. Ou pour faire de la pub ? Non, pas vraiment non plus.
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En fait, c’est surtout pour vous dire qu’il y aura une rencontre dans une librairie parisienne le 8 novembre à 19h. Il y a l’adresse sur la belle affiche jaune qui illustre ce post, mais au cas où :
Librairie Ici, 25 boulevard Poissonnière, Paris 2e.
Alors si vous êtes parisien.ne, même juste pour un soir, passez nous voir. Et si on ne se connaît pas en vrai, venez me dire qui vous êtes et me montrer votre tête. OK ? Ça me ferait vraiment très plaisir. Vous me reconnaîtrez, la nana au milieu des trois mecs.
Si vous voulez en savoir plus sur cette histoire, je peux déjà vous spoiler et vous dire qu’à la fin, non, le vilain canard n’est pas heureux juste parce qu’il est un cygne beau et blanc. (C’était bizarre cette fin, ou c’est moi ?) Je peux aussi vous dire qu’il y a aussi des jeux de mots plus ou moins légers comme je les aime, une chanson originale, de la natation synchronisée, des rimes, de l’écologie, de la tolérance, de la musique (mais ça je l’ai déjà dit) et la belle voix hypnotisante d’Arnaud Valois.
Cette version est assez différente de l’originale en cela que ce vilain canard est un vrai héros, et pas un punchingball. C’est une victime de harcèlement, mais c’est avant tout une personne avec ses rêves, ses émotions, ses forces, son humour… Ni un objet ni un numéro, mais une personne. Enfin un volatile, mais quand même, quoi ! Une personne comme toutes les victimes de violence, finalement. Comme tout le monde, même en fait. Je trouve ça intéressant de le rappeler, aux harceleurs, aux harcelés, au petit malin, là, au fond, qui encourage en se marrant ou à celui qui ne dit rien.
Et voilà… C’est certainement là que ce fait pour moi le lien entre ce blog et ce conte musical pour enfants.
Mais je vous ai dit qu’y avait aussi de la natation synchronisée, hein ?! 🙂
N’allez pas croire que c’est déprimant. On est vachement plus marrants qu’Andersen, c’est juré.
Alors ben… j’espère vous y voir et je vous fais de gros poutous.
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Ils l’ont fait ! Je les aime <3

« La violence, c’est juste un signal de ton cerveau qui te dit qu’y a urgence à devenir bienveillant avec toi-même. »

Donc quand tu te rends compte que tu gueules sur ton môme, que tu le tires par le bras ou que tu l’assieds dans son siège auto comme si c’était un sac de patates (J’avais eu une sale nuit, j’ai dit pardon et tout, juré.), ben tu te dis « Hou là, JE vais pas bien, je devrais m’occuper un peu de moi, dès que j’aurai demandé pardon et fait un câlin. » au lieu de te dire « C’est pas grave, je l’éduque, il est chiant en ce moment. »

J’ai envoyé un message à l’équipe de « Et tout le monde s’en fout » il y a plusieurs mois pour leur raconter que la violence éducative ordinaire, tout le monde s’en fout, et ce serait cool que ça change. Ils m’ont répondu qu’ils étaient sur le coup.

Voilà le résultat !

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Fessées, gifles, cris : les enfants humiliés font des adultes fragilisés

Un article très clair sur la violence éducative en France, sa perception et son évolution.

Paru sur TheConversation.com

 

Fessées, gifles, cris : les enfants humiliés font des adultes fragilisés

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Châtiments corporels, gravure de 1769, par Jean Baptiste Le Prince d’après François Boucher (Musée national de l’éducation).
Julien B./Flickr, CC BY-SA

Jean-Luc Viaux, Université de Rouen Normandie

Une campagne nationale contre les « violences éducatives ordinaires » vient d’être lancée sur Internet, le 23 janvier, par la Fondation pour l’Enfance, et se poursuivra ensuite à la télévision. « Frapper », « humilier », « crier sur son enfant », « c’est le marquer pour longtemps », soulignent les vidéos diffusées par cette fondation reconnue d’utilité publique, dans le but de « sensibiliser les parents ».

Le médecin généraliste Gilles Lazimi, coordinateur de la campagne, en a expliqué les objectifs à l’AFP : « Il n’y a pas de petite claque, ni de petit coup, ni de paroles anodines envers nos enfants. Toutes ces pratiques que nous reproduisons parce que nous les avons subies sont des violences, peuvent les marquer pour longtemps, et retentir sur leurs acquisitions et leur devenir ». Et d’ajouter : « Entre adultes, toute violence est un délit, alors pourquoi ne l’est-elle plus quand elle a pour cibles nos enfants ? »

Ainsi, l’idée de les élever sans violence fait, lentement, son chemin dans notre pays, même si la majorité des citoyens considèrent encore la fessée comme un geste sans grande conséquence. De nombreuses études, pourtant, montrent que les enfants humiliés font des adultes fragilisés.

Un plan de lutte contre les violences aux enfants

Le tout premier plan de lutte contre les violences faites aux enfants avait été adopté le 1er mars 2017.

« En 2014, quand j’ai commencé à parler d’éducation sans violence, je me suis heurtée à du scepticisme, à de la raillerie, voire à de l’hostilité, avait déclaré Laurence Rossignol, alors ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, dans un entretien au quotidien La Croix. Aujourd’hui, de très nombreuses personnes soutiennent ces pratiques ».

Le précédent gouvernement avait pourtant essuyé un revers dans son effort pour modifier les pratiques au sein des foyers. Un amendement en faveur de l’éducation sans violence glissé dans la loi égalité et citoyenneté devait en effet modifier le texte du Code civil sur l’autorité parentale. En janvier 2017, pourtant, il avait été censuré par le Conseil constitutionnel, pour des raisons de forme – et non de fond.

« À l’exclusion de tout traitement cruel »

La portée de l’amendement était avant tout symbolique, la formulation visant à faire prendre conscience que l’on peut éduquer les enfants sans l’exercice de la force physique. L’article 371-1 du Code civil est ainsi rédigé : « L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne ». L’amendement y ajoutait ces mots : « et à l’exclusion de tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux violences corporelles ».

La précision témoignait de l’évolution nécessaire des mentalités. Cela n’a pourtant pas empêché des médias de prendre à la légère cette initiative législative ambitieuse en la réduisant à la volonté d’interdire la fessée, le quotidien Le Monde titrant par exemple « l’amendement contre la fessée censuré ». Du coup le débat sur l’éducation sans violence a été – trop vite – évacué. On a surtout entendu des réflexions de nature à reproduire indéfiniment la violence, des variations sur le même thème, « quand j’étais petit, j’ai pris des fessées et je n’en suis pas mort ».

L’ampleur des violences toujours exercées contre les enfants peut être estimée à partir de données épidémiologiques. Plus de 250 infanticides (définis comme le meurtre d’un enfant de moins de 1 an) sont commis chaque année, selon l’extrapolation d’une étude Inserm portant sur la période 1996-2000. 180 à 200 syndromes de bébé secoué surviennent chaque année en France, en dépit d’une intense campagne d’information dans les maternités. Ces chiffres ne concernent que les tous petits et ils sont, à eux seuls, effarants.

La maltraitance, présente dans tous les milieux sociaux

Le tableau qui se dessine à partir d’un sondage de l’association L’Enfant bleu, réalisé en 2015, est plus saisissant encore. Ainsi, 14 % des personnes interrogées déclarent avoir été victimes de maltraitances physiques, sexuelles ou psychologiques au cours de leur enfance. 45 % suspectent au moins un cas de maltraitance dans leur environnement immédiat, c’est-à-dire famille, voisins, collègues ou amis proches. Par ailleurs, pour une majorité d’entre eux, la maltraitance des enfants est un phénomène à la fois fréquent (72 %), présent dans tous les milieux sociaux (88 %), et reste un sujet tabou, dont on ne parle pas (72 %).

Comment comprendre, alors, le sondage indiquant, en 2015, que 7 Français sur 10 étaient opposés à l’interdiction des châtiments corporels envers les enfants ?

Ainsi, les trois quarts des Français sont convaincus que la maltraitance est une pratique fréquente. Et la même proportion considère acceptables les gifles et la fessée ! Ce hiatus s’explique par un phénomène bien connu des psychologues : dans l’esprit des parents, la maltraitance, ce sont les autres.

Une correction certes un peu forte…

Les professionnels en charge de la protection de l’enfance ont tous entendu un jour des couples dont les enfants ont dû être placés après un constat médical de coups et blessures dire que, jamais au grand jamais, ils ne les avaient « maltraités ». Certes, admettaient-ils, la correction avait pu être un peu forte mais comment faire autrement ? Et pourquoi leur adresser des reproches et pas à leurs voisins, qui font bien pire ? Sans compter tous ces parents qui laissent traîner leurs enfants dans les rues…

La violence éducative est banalisée, et ce quelle que soit l’origine sociale. De sorte qu’on constate aujourd’hui dans notre société un malentendu, doublé d’une cécité des pouvoirs publics, quant au coût de ces violences en termes de santé publique et de désagrégation sociale.

Les conséquences de la violence éducative ordinaire sur les enfants sont établies, et ce depuis longtemps, comme le montre l’article que j’avais publié dès 1998 dans Les Cahiers de la sécurité intérieure, « Enfant de moins de 3 ans, les conséquences de la maltraitance ». Celles des abus sexuels sont soulignées par la psychiatre Muriel Salmona dans l’ouvrage collectif paru en 2017, Pratique de la psychothérapie EMDR (Dunod), sous la direction de Cyril Tarquinio, professeur de psychologie clinique de la santé à l’Université de Lorraine.

Un développement cognitif compromis

Un enfant humilié ou battu, a fortiori un enfant violé, souffre de psychotraumatismes. Cette situation compromet son développement cognitif, ce qui nécessite du soutien scolaire et un enseignement spécialisé, et entraîne aussi souvent échec scolaire, abandon des études et absence de diplôme.

Le trouble de la personnalité le plus fréquent, tant chez les jeunes délinquants que chez les adolescents suicidaires, marginaux ou décrocheurs, est celui de la personnalité « borderline ». Il est caractérisé par des tendances dépressives, addictives, dépendantes et suicidaires, souvent de l’agressivité et une adaptation sociale précaire. On sait avec certitude, depuis les années 1970, que ce trouble est lié à des traumatismes vécus dans la première enfance.

En d’autres termes, les violences subies par les enfants se payent par une incapacité sociale, une dépendance et une vulnérabilité qui mobilise la médecine, plus spécialement la pédiatrie et la psychiatrie, et les services sociaux. Les études qui le démontrent sont recensées par l’Institut australien des études sur la famille sous le titre « Les effets des abus et de la négligence vis-à-vis des enfants dans l’enfance et l’adolescence ». Les chercheurs belges Emmanuel de Becker et Marie-Amélie Maertens nous renseignent, pour leur part, sur le devenir de l’enfant victime de maltraitance sexuelle, dans leur article paru en 2015 dans les Annales médico-psychologiques.

Une fragilité à l’âge adulte

Ces psychotraumatismes engendrent, à l’âge adulte, des troubles somatiques autant que psychiatriques, ainsi que la majorité des désocialisations. Beaucoup de soignants n’en ont pas conscience, car s’intéresser à l’enfance d’un patient est désormais considéré comme une vieille lune portée par des psys dépassés, car imbibés de freudisme. Il est plus moderne de parler de « harcèlement moral » ou de « burn-out » que de fragilité traumatique acquise dans les premières années de la vie.

Mais les faits cliniques sont têtus. Dès qu’un adulte bute sur un rapport de force semblable à celui vécu au cours d’une enfance sous emprise, la soumission apprise engendre chez lui la violence par réaction, la dépression ou d’autres troubles psychiques graves.

La prévention des désordres familiaux et sociaux

L’incitation à une éducation sans violence, telle que portée par la campagne nationale actuellement visible sur les écrans, va dans le sens, d’abord, du respect de la convention internationale des droits de l’enfant. Elle participe, ensuite, à la prévention des désordres familiaux et sociaux, en combattant l’idéologie néfaste d’une éducation usant des rapports de force.

La clinique éducative et psychologique moderne en a démontré la nécessité. Comme l’écrit la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE) dans son communiqué de presse du 31 janvier 2017, « l’éducation sans violence n’est pas laxiste, ce n’est pas laisser faire l’enfant-roi qui aurait tous les droits. Bien au contraire. Elle est exigeante, demande patience, dialogue, explications en permanence. C’est à ce prix que les enfants d’aujourd’hui, élevés avec soin et dans la dignité, seront les adultes de demain respectueux, pacifiques et empathiques ».

The ConversationCette évolution ne peut se produire qu’avec le temps, à force « d’éducation » des citoyens, précisément. Et avec l’avènement, sans doute, d’une nouvelle génération. Elle passe par une éducation à l’intimité (connaître les limites de son espace psychique et corporelle, reconnaître celui de l’autre à travers l’expression des émotions) et à la socialité (savoir partager des activités et construire avec l’autre) qui permet de déterminer les limites entre soi et l’autre. Car la capacité à respecter les autres suppose de savoir, d’abord, se respecter soi.

Jean-Luc Viaux, Professeur émérite en psychologie, Université de Rouen Normandie

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.